Viktor Bout : Comment les guerres sont-elles rendues possibles par le trafic d’armes ?

Par Adrien Evo


Introduction

Récemment, le trafiquant d’armes Viktor Bout a beaucoup fait parler de lui dans les médias lorsqu’il a été sujet de son échange contre la basketteuse américaine Brittney Griner, arrêtée en Russie pour possession de stupéfiants. Viktor Bout purgeait une peine de 25 ans de prison aux Etats-Unis depuis 2012. A l’époque de son arrestation, les médias avaient décrit M.Bout comme “marchand de la mort”, “Seigneur de la guerre”, “vendeur de mort”, ou encore comme celui qui aurait “armé le monde”. Mais qu’en est-il réellement ? Si M.Bout a eu un rôle notable dans des conflits comme ceux du Sierra Leone (1991-2002), de l’Angola (1975-2001) et de La République démocratique du Congo (1996-1997 et 1998-2002), il existe de nombreux autres “businessman” participant à ce commerce, alors pourquoi la Russie et les Etats-Unis se disputent-ils cet homme en particulier ?



Un business man pas comme les autres

Comme Viktor Bout aime le rappeler, ce dernier ne se considère ni comme un criminel ni même comme un trafiquant, mais plutôt comme un homme d’affaires, selon lui il s’agirait d’un commerce comme un autre. Pour comprendre ce raisonnement, il faut remonter à la chute de l’Union Soviétique en 1991. Viktor Bout servait alors comme interprète dans l’aviation russe. La chute de l’URSS est vécue par tous les habitants du bloc soviétique comme une période d’incertitude, les familles vivant au jour le jour. Cependant, ce moment de crise (politique, sociale et surtout économique) ouvre de nombreuses opportunités. C’est alors que Viktor Bout se lance dans les affaires et tente de nombreux projets avant de se lancer dans le fret et le trafic d’armes. En effet, après la guerre froide, la Russie se retrouve surarmée et se voit obligée d’abandonner de nombreuses armes. De même, de nombreux avions militaires restent au sol, c’est le cas de cargos (comme les Antonov) que Viktor Bout loue ou achète à l’armée soviétique afin d’exporter des armes mais aussi des produits plus courants comme des fleurs ou du poulet congelé.



Mode opératoire

En réalité, les biens de consommation ordinaires sont utilisés pour camoufler la cargaison des avions (le plus souvent des AK-47 à prix cassés, des lance-roquettes, mais aussi parfois des chars d’assaut et des hélicoptères d’attaque). Viktor Bout a recours à de faux certificats d’utilisation finale qu’il se procure en corrompant des élus de différents pays. L’exportation semble légale puisque le pays importateur officiel est autorisé à acheter des armes. Cependant, prétextant un atterrissage d’urgence, l'avion se pose dans un autre pays, souvent sujet à un embargo international sur les armes, où il décharge sa cargaison. Par exemple, une exportation vers la Guinée sur papier est en fait une exportation vers le Liberia. Viktor Bout s’impose alors dans le trafic d’armes par sa capacité à livrer des armes rapidement dans des zones difficiles d’accès. L’homme d'affaires joue alors un rôle dans de nombreux conflits comme au Liberia où il livre des armes au seigneur de guerre et futur dictateur du Liberia, Charles Taylor, coupable de crimes contre l’humanité (son slogan de campagne était “Il a tué ma mère, il a tué mon père. Je vais voter pour lui.”), au Rwanda (il met à disposition de l’armée française des Antonov lors de l’opération Turquoise en 1994), en République Démocratique du Congo, en Angola, etc. Il est finalement arrêté en 2008 en Thaïlande, piégé par les agents de la DEA. Il est soupçonné de vouloir vendre des armes aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) considérées comme un groupe terroriste par l’Etat américain, il est donc accusé de tuer des citoyens américains de manière indirecte.



Un pion sur l’échiquier : l’affrontement entre les US et la Russie autour de Viktor Bout

Bout est arrêté en 2008 par des agents de la DEA à Bangkok. Cependant, les Nations Unies et les services secrets américains avaient eu vent de son trafic dès le début des années 1990. Or tout laisse supposer qu’ils l’auraient laissé faire. C’est finalement les attentats du 11 septembre 2001 qui auraient poussé les Etats-Unis à prendre des mesures contre Bout. Celui-ci est accusé d’avoir vendu des armes aux Talibans et d’avoir aidé Al-Qaïda. C’est donc des raisons sécuritaires mais aussi politiques qui ont amené les Etats-Unis à resserrer les mailles du filet. La question des liens entre Bout et le FSB (service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) reste obscure. Lors de son incarcération en Thaïlande, les Etats russes et américains se battent pour obtenir son extradition. C’est finalement les Etats-Unis qui l’obtiennent, il sera condamné à 25 ans de prison en 2012 par un juge fédéral de New York. Finalement, en 2022, la Russie obtient son échange contre la basketteuse américaine Brittney Griner. Au-delà d’un hypothétique lien avec le FSB, l’implication de la Russie pourrait s’expliquer par la portée des actions de Viktor Bout en Afrique. En effet, la Russie cherche à étendre son influence en Afrique. Il serait alors dans son intérêt de garder un homme influent comme Bout à portée de main.



Le soft power Russe en Afrique

Afin de comprendre l’enjeu que représente Viktor Bout pour la Russie, il faut remettre l’échange du trafiquant d’armes contre la basketteuse américaine dans le contexte d’une présence russe accrue en Afrique et au Moyen-Orient. A la clef se trouvent des intérêts diplomatiques, des intérêts commerciaux comme l’exploitation des ressources (notamment minières), mais aussi le contrôle de l’opinion publique des pays en voie de développement. En 2014, l’oligarque Evgueni Prigojine fonde le groupe de mercenaires Wagner. Depuis, ce groupe est présent dans de nombreuses régions instables comme la Syrie, l’Ukraine, la Centrafrique (depuis 2018), la Libye ou encore le Mali (2022). Cette milice privée sans existence légale (la Russie n’acceptant pas légalement l’existence de telles organisations) a un avantage : le déni plausible, c’est-à-dire la possibilité pour le Kremlin de nier toute implication dans les régions où elle opère. En Centrafrique et au Mali, la propagande russe bat son plein. Elle prend la forme de manifestations anti-françaises (le Mali et la Centrafrique étant d’anciennes colonies françaises) et contre la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). Des films de propagande sont aussi diffusés comme le film « Tourist » glorifiant le rôle « protecteur » de Wagner dans la guerre civile centrafricaine (sans mentionner les exactions de ce dernier). De plus, le fondateur du groupe Wagner est également à l’origine d’une guerre de désinformation sur les réseaux via l’Internet Research Agency. Celle-ci a d’ailleurs été accusée d’avoir manipulé l’opinion publique lors des élections américaines de 2016. Evgueni Prigojine crée et finance des journaux locaux qui répandent de l’information prorusse (comme le Njdoni Sango). Plus étonnant encore, en Centrafrique, la Mocaf, bière française très populaire, voit naître un nouveau concurrent : la Wa Na Wa Vodka. Les journaux financés par Prigojine ne manquent pas d’ailleurs de vanter les effets réjuvénateurs de cette boisson censée immuniser contre le coronavirus. Simultanément, les mercenaires s’infiltrent dans les coulisses du pouvoir : ce sont des mercenaires russes qui s’occupent de la protection du chef d’Etat centrafricain Faustin-Archange Touadéra. La récupération d’un trafiquant d’armes russe ayant une forte expérience de terrain par le Kremlin pourrait ainsi se révéler comme un atout de taille pour l’expansion de l’emprise russe en Afrique.




Sources :