L’Arménie, l’autre guerre aux frontières de l’Europe
Cyprien Le HoAlors que les regards de la communauté internationale sont tournés vers l’Ukraine, un autre conflit est en train de ressurgir : celui opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En 2020, ce conflit a fait plus de 7 000 morts et un cessez-le-feu avait été signé par les deux pays. Toutefois, les évolutions géopolitiques récentes ont poussé l’Azerbaïdjan à relancer les hostilités.
Le Haut-Karabakh, source historique des tensions
Le 5 juillet 1923, Staline décide de rattacher le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan, pays musulman chiite. Cette région située dans le Caucase est alors peuplée de 95% d’Arméniens chrétiens, et considérée comme le berceau historique de l’Arménie.
A la fin des années 80, pendant la Perestroïka, les populations du Haut-Karabakh se révoltent. Les autorités locales décident de se placer sous la protection de l’Arménie. En réaction, l’armée azérie commet le pogrom de Soumgaït, où des dizaines de civils arméniens sont tués.
Par la suite, lors de l’effondrement de l’URSS, Arménie et Azerbaïdjan deviennent indépendants. Cet événement marque le début de la première guerre du Haut-Karabakh. Après 4 ans de conflit et 35 000 morts, un cessez-le-feu est finalement signé où l’Arménie contrôle la majorité des territoires du Haut-Karabakh
Néanmoins en 2020, l’Azerbaïdjan relance les hostilités. Les forces azéries, soutenues par la Turquie, pilonnent la région de bombes à phosphore ; près de 4 000 morts sont recensés en 44 jours (de bombardement). Un nouvel accord de cessez-le-feu est alors signé sous la médiation de la Turquie et du « groupe de Minsk » composé par la France, les Etats-Unis et la Russie.
A l’été 2022, l’armée azérie lance une offensive non pas sur le Haut-Karabakh, mais directement sur la frontière arménienne.
Mais alors, pour quelles raisons les combats ont-ils repris ?
Une guerre d’alliances stratégiques
Dans la région, chaque pays possède de puissants alliés : côté azéri par exemple, les forces armées disposent du soutien turc. En effet, Azerbaïdjan et Turquie sont des amis historiques : leurs cultures sont proches et la langue parlée en Azerbaïdjan est turcophone.
Recep Tayyip Erdogan n’a d’ailleurs jamais caché son ambition de réunifier les deux pays, comme ce fut le cas à l’époque de l’Empire ottoman. Ce projet impliquerait l’annexion de l’Arménie, qui sépare géographiquement la Turquie de son allié azéri. Cependant, les souvenirs du génocide de 1915 sont encore frais dans la mémoire internationale, et ce projet ne pourra être réalisé que par les forces azéries.
Côté arménien, le pays est placé sous la protection de la Russie. Poutine considérant que l’Arménie fait partie de sa sphère d’influence, Erevan et Moscou ont signé en 2002 un traité d’alliance politique et militaire. Grâce à cet accord, la Russie a pu installer une importante base militaire à Gumri.
Paradoxalement, l’Arménie chrétienne est aussi soutenue par l’Iran chiite. Ce dernier fait face à d’importantes velléités sécessionnistes de populations azéries au nord de son territoire. Cette guerre par procuration leur permet ainsi de les affaiblir indirectement.
La guerre en Ukraine au cœur de la reprise du conflit
En 2020, la Russie s’est imposée comme grande gardienne de la paix pour maintenir le cessez-le-feu. Néanmoins, l’invasion de l’Ukraine a complètement rebattu les cartes.
D’une part, sur le plan militaire :
Souhaitant concentrer ses efforts sur le front ukrainien, Moscou a retiré un bon nombre de ses troupes d’Arménie. L’Azerbaïdjan et la Turquie y ont alors vu une occasion en or pour porter un coup fatal à Erevan. Poutine a d’ailleurs, à ce jour, seulement condamner l’attaque azérie sans pour autant porter assistance à l’Arménie.
D’autre part, sur le plan géopolitique, l’Union européenne a conclu d’importants contrats gaziers avec l’Azerbaïdjan en juillet, pour mettre fin à sa dépendance au gaz russe. En conséquence, elle n’a que condamné par voie diplomatique l’offensive azérie de cet été, sans décider de sanctions.
Quelles issues pour ce conflit ?
De nombreux intellectuels arméniens se sont indignés face à l’indifférence des pays occidentaux, au contraire de l’Ukraine. Selon eux, les européens préfèrent le gaz « noble » azéri, dont le régime a tué des milliers d’arméniens, au gaz russe devenu « intolérant ».
Pour le moment, la communauté internationale ne fait que condamner diplomatiquement l’Azerbaïdjan. En cas de cristallisation du conflit, les pressions économiques et diplomatiques semblent la voie privilégiée plutôt qu’une intervention directe. La Russie, de son côté, pourrait tirer son épingle du jeu. Selon les experts, Poutine ne laisserait jamais l’Arménie quitter sa zone d’influence. Il interviendrait probablement au moment opportun pour consolider son influence sur le pays.
Bibliographie
● Le Monde : Conflit au Haut-Karabakh : Vladimir Poutine organise un sommet avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan (2022)
o https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/31/conflit-au-haut-karabakh-vladimir-poutine-organise-un-sommet-avec-l-armenie-et-l-azerbaidjan_6148065_3210.html
● Marion Pignot – 20 Minutes : Haut-Karabakh : Tout comprendre au conflit qui oppose l’Azerbaïdjan et l’Arménie (2022)
● Franceinfo : Haut-Karabakh : l'Azerbaïdjan revendique la prise de plusieurs positions dans l'enclave montagneuse (2022)
o https://www.francetvinfo.fr/monde/conflit-dans-le-haut-karabakh/haut-karabakh-une-nouvelle-escalade-de-violences-entre-l-azerbaidjan-et-l-armenie_5291551.html
● Challenges : Azerbaïdjan : les exportations de gaz vers l'Europe en forte hausse (2022)
o https://www.challenges.fr/economie/azerbaidjan-les-exportations-de-gaz-vers-l-europe-en-forte-hausse_827503
● Le Dessous des Cartes : Haut-Karabakh : l’autre guerre ? (2022)
o https://www.youtube.com/watch?v=hkGWTgrkSK4
● C dans l’air : Erdogan défie le monde… et Poutine (2022)
o https://www.youtube.com/watch?v=GkIP-qqcMXA&list=PL-rrJPVEisb5TL_vY4N54fgQsCaqHVBMT&index=6
● ARTE 28 Minutes : Le Haut-Karabakh face à l’indifférence (2022)