Les États baltes, un modèle de défense flexible et multidimensionnel tourné vers la menace russe

Martin Laï

« Finalement [les Européens] comprennent à qui nous avons à faire, l’agression de Poutine a ouvert les yeux sur la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons », Artis PABRIKS, le 5 mars 2022 [1]. Ces propos du ministre letton de la Défense dans les colonnes du Point marque d’une certaine manière le triomphe de la posture adoptée par les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) face à la Russie et de leur politique de défense qui en découle. Parmi les pays de l’UE les plus dynamiques en matière de défense, les pays baltes se caractérisent par leur proximité géographique avec la Russie. Indépendants de l’URSS depuis 1991, les États baltes sont particulièrement exposés à la nostalgie impériale de Vladimir Poutine, qui promeut la défense du « monde russe », du fait de la présence d’importantes minorités russes au sein de leur population, qui a servi de prétexte à l’invasion russe de l’Ukraine. Leurs efforts d’investissements dans la défense ont ainsi connu une trajectoire exponentielle dès la première agression militaire russe contre l’Ukraine en 2014. Confrontés aux attaques hybrides (cyberattaques, guerre informationnelle) de la Russie, ces pays ont développé des formes de résilience uniques et ont adapté leurs armées, notamment à travers l’adoption d’un modèle de défense territoriale qu’on retrouve également en Ukraine. Ils font partie des pays les plus actifs en ce qui concerne l’aide militaire fournie à l’Ukraine. Situés sur l’axe stratégique Baltique-mer Noire, ces pays sont aux avant-postes du face-à-face entre l’Occident et la Russie. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient également parmi les pays de l’UE les plus atlantistes, étant donné qu’ils sont les premiers bénéficiaires des mesures de réassurance de l’OTAN depuis 2016, qui constitue leur principale garantie de sécurité contre tout aventurisme militaire russe. La défense collective de l’Europe se joue aujourd’hui en grande partie dans les pays baltes. Ils demeurent en outre logiquement les plus sceptiques quant à l’avènement d’une Europe de la Défense qui pourrait selon eux affaiblir l’OTAN. La future adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande, dont les candidatures ont été déposées le 18 mai 2022 à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, pourtant déjà membres de l’UE, ne fait que renforcer ce constat.

Dès lors, comment se caractérise le modèle de défense des États baltes ?


Les pays baltes aux avant-postes de la confrontation entre l’Occident et la Russie

Une situation géostratégique et géopolitique défavorable

Annexés par l’URSS de force en 1944, les pays baltes déclarent leur indépendance en 1991, quelques mois avant la disparition de l’URSS. Afin de pérenniser leur retour dans le monde occidental et de se prémunir contre toute incursion russe, les États baltes adhèrent d’abord à l’UE en 2003 puis à l’OTAN en 2004. S’en est suivi une période de sous-investissement dans la défense, généralisé à l’échelle de l’Europe, du fait de l’illusion de sécurité liée à la chute de l’URSS. L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 y met brutalement fin dans les pays baltes, qui se sentent particulièrement visés par le projet révisionniste russe de rassembler de nouveau les anciennes terres de l’empire. La situation géostratégique est d’autant plus préoccupante que les États baltes sont pratiquement « enclavés » entre la Russie, l’enclave de Kaliningrad, anciennement Königsberg et qui fait également partie intégrante du territoire russe, et la Biélorussie. Seul le corridor de Suwalki les relie à la Pologne et par extension au monde occidental. Depuis 2014, l’armée russe tente de transformer la mer Baltique en verrou stratégique, sur le modèle de ce qu’elle a déjà fait en mer Noire. Elle a installé progressivement des dispositifs de déni d’accès (A2/AD), composés de batteries antiaériennes S-300 et S-400 et de missiles Iskander, qui peuvent porter des charges nucléaires, dans l’enclave de Kaliningrad, menaçant directement la sécurité des pays baltes [2]. Ces derniers sont également victimes de multiples incursions russes dans leur espace maritime et aérien. En parallèle, des exercices militaires d’envergure, intitulés Zapad, ont été régulièrement menés ces dernières années par les armées russes et biélorusses à leurs frontières. Le rapprochement stratégique russo-biélorusse opéré depuis 2021 et plus encore la modification de la constitution biélorusse le 27 février 2022 autorisant les armes nucléaires sur le territoire biélorusse ont détérioré la situation sécuritaire des Baltes. La présence d’importantes minorités russes au sein de leurs populations en fait enfin les cibles d’attaques russes de nature cyber et informationnelles d’envergure, comme les cyberattaques russes massives de 2007 qui avaient paralysé les administrations estoniennes

Auteur : Blanche Lambert, carte réalisée pour la note n°119 de l’IRSEM rédigée par Malcom Pinel

Les Baltes sont à la pointe du soutien militaire à l’Ukrain

Par solidarité stratégique, les pays baltes ont, dès 2014 et l’annexion russe de la Crimée, apporté un soutien militaire à l’Ukraine, à travers des programmes de formation militaire et des livraisons de matériels. Les livraisons de matériels militaires ont grandement augmenté au moment de l’invasion russe de 2022. Ainsi, la Lettonie a envoyé plus de 200 millions d’euros d’aides militaires à travers des munitions, des missiles anti-aériens Stinger et leurs rampes de lancement ainsi que des drones. La Lituanie a envoyé l’équivalent de dizaines de millions d’euros d’aide, dont des missiles anti-aériens Stinger, des mortiers, des fusils ou encore des munitions. Elle aurait également fourni à l’Ukraine 20 véhicules blindés de transport de troupe M113. L’Estonie a quant à elle offert 227,5 millions d’euros d’assistance militaire en envoyant des lance-missiles antichars Javelin, des obusiers Howitzer, des mines antichars, des canons antichars et des munitions [3]. Au regard de leur PIB, les pays baltes figurent parmi les pays les plus dynamiques en ce qui concerne l’aide militaire envoyée à l’Ukraine, aux côtés des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Pologne. Figurant parmi les États les plus volontaristes de l’aide occidentale à l’Ukraine, notamment sur la question de la mission de formation des troupes ukrainiennes sur le sol européen (sous sigle UE), cette politique répond avant tout à la situation géostratégique des pays baltes, particulièrement menacés eux-aussi par la Russie.



Un modèle de « défense totale » adapté aux caractéristiques baltes

Un effort financier constant depuis 2014

Afin de répondre à la résurgence de la menace sécuritaire russe depuis 2014, les pays baltes ont considérablement augmenté leurs efforts financiers sur le plan militaire. Les trois pays consacrent plus de 2% de leur PIB à la défense depuis 2018. La Lettonie, avec un budget de 699 millions d’euros en 2021, atteignait 2% de son PIB consacrés à la défense. Le budget estonien, de 615 millions d’euros, représentait 2,1% de son PIB en 2021. Enfin, le budget lituanien atteignait 2,5% du PIB du pays en 2021 (1,25 milliards d’euros). Entre 2011 et 2021, leurs dépenses militaires ont connu une trajectoire exponentielle (+102,1% pour l’Estonie, +188,9% pour la Lettonie, +256,7% pour la Lituanie) [4]. Tous ont annoncé vouloir renforcer leurs efforts de défense en réaction à l’invasion, bien qu’ils soient déjà bien supérieurs à ceux de nombreux pays européens. La Lituanie a même augmenté son budget de défense pour l’année 2022 de 300 millions d’euros à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Cette hausse spectaculaire des investissements dans la défense s’explique par la faiblesse capacitaire de leurs armées jusqu’alors. Face à leurs faibles capacités matérielles et humaines, les pays baltes ont adopté un modèle de « défense totale », qui mêle actions hybrides, forces de défense territoriale sur le modèle ukrainien et forces conventionnelles [5].

L’armée régulière, tournée vers le combat de haute intensité, en cours de remontée capacitaire

Les pays baltes ne disposent pas, du fait de la faiblesse de leur population (entre 1,2 millions et 2,7 millions d’habitants), d’armées pléthoriques. Ainsi, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie disposent respectivement de 3655, 6600 et 11 095 militaires d’active. De même, ils ne disposent pratiquement pas de matériels lourds. La Lettonie, seule à détenir des chars de combat, n’en dispose que de trois. Elle possédait en outre 100 pièces d’artillerie en 2021, quand la Lituanie en possède 91 et l’Estonie 192 [6]. En ce qui concerne les capacités aériennes, les trois pays baltes ne disposent d’aucun avion de combat ni d’aucun hélicoptère de combat. Enfin, concernant leurs capacités navales, ils ne comptent aucune frégate, destroyer ou sous-marin. Cette faiblesse capacitaire s’explique tout d’abord par la faiblesse des budgets de défense nationaux en valeur absolue.

En l’absence de capacités militaires lourdes en nombre suffisant pour faire face à la menace russe, les armées baltes se sont concentrées sur leur composante terrestre et sur l’acquisition de matériels lourds, la plupart du temps sur étagère (produits à l’étranger), pour opérer une remontée capacitaire progressive et remplacer leurs équipements d’origine soviétique, en partie cédés depuis à l’Ukraine. Ainsi, la Lituanie a commandé en juin 2022 18 canons Caesar à l’industriel français Nexter [7]. Elle avait également acheté à l’Allemagne des canons PzH 2000 ainsi que 88 véhicules de combat d’infanterie Boxer en 2016. Auprès des États-Unis, la Lituanie a acquis des hélicoptères UH-60M et 200 véhicules légers de transport de troupe JLTV en 2019, qui seront livrés en 2024. La Lettonie participe quant à elle au projet « Common Armoured Vehicle System » avec la Finlande, qui vise à doter son armée de 200 véhicules blindés d’infanterie en 2024, et qui sont construits localement. L’armée lettone a également reçu des drones de renseignement, de surveillance et de reconnaissance afin de disposer de moyens aériens bon marché. Enfin, l’armée lettone a acquis des canons automoteurs blindés américains M109A50e auprès de l’armée autrichienne afin de renforcer ses capacités lourdes. L’armée estonienne a renforcé sa puissance de feu en acquérant des canons sud-coréens K9-Thunder. Elle s’est aussi dotée de nombreux missiles antichars Javelin, dont une partie ont ensuite été livrés à l’Ukraine, pour améliorer ses capacités défensives.

Cette remontée capacitaire a permis d’amorcer la modernisation de la structure des armées baltes, afin qu’elles deviennent aptes au combat de haute intensité, à travers la constitution de brigades mécanisées aux normes de l’OTAN. Ainsi, la Lituanie a pu former une brigade d’infanterie mécanisée, la Lettonie une brigade d’infanterie et l’Estonie deux bataillons d’infanterie mécanisée, un bataillon d’infanterie blindée, composé de chars légers et de véhicules de combat d’infanterie lourd, et un bataillon d’artillerie lourde.

Les forces de défense territoriale garante de la résilience nationale

Afin de soutenir les forces conventionnelles, trop peu nombreuses malgré la récente remontée capacitaire, la doctrine de défense des États baltes accorde une grande importance à la notion de résilience nationale. Elle comprend une résistance de la population, tant passive qu’active, aux forces ennemies. De même, elle prévoit le maintien en activité des infrastructures économiques et énergétiques vitales pour les besoins primaires de la population et pour soutenir dans la durée l’effort de guerre. Dans le cadre de la doctrine de défense totale, l’ensemble des ressources des pays baltes, qu’elles soient humaines ou économiques, doivent être mobilisables.

Les forces de défense territoriale, composées de volontaires civils, constituent le cœur de la résilience nationale des pays baltes. Ce sont d’ailleurs elles qui ont inspiré celles que l’on retrouve aujourd’hui en Ukraine et qui ont permis dans un premier temps de ralentir l’offensive russe fin février 2022. Elles ont vocation à défendre les grands centres urbains baltes pour soulager les forces conventionnelles et à rendre le coût d’une occupation militaire le plus élevé possible. L’Estonie compense son nombre relativement faible de militaires d’active par 25 540 volontaires. La Lettonie dispose quant à elle de 8200 volontaires et la Lituanie de 5117. Il est important également de préciser que l’Estonie et la Lituanie ont conservé la conscription en cas d’attaque de leur territoire, à l’inverse de la Lettonie.

Des techniques de pointe dans la lutte contre les menaces hybrides

Ayant acquis une certaine expertise dans le traitement des menaces hybrides, les pays baltes accueillent des centres d’excellence de l’OTAN, qui permettent de former les militaires et responsables de l’Alliance dans des domaines spécifiques. Tallin (Estonie) accueille ainsi le Centre d’excellence de l’OTAN pour la cyberdéfense en coopération, Riga (Lettonie) le Centre d’excellence de l’OTAN pour la résilience démocratique et Vilnius (Lituanie) le Centre d’excellence de l’OTAN pour la sécurité énergétique. La localisation de ces centres de formation témoigne de la reconnaissance de la doctrine des pays baltes de défense totale.

En particulier, l’Estonie a acquis une expérience unique en Europe en cyberdéfense après avoir été victime de nombreuses cyberattaques russes, parmi lesquelles celles de 2007 qui avaient paralysé les institutions publiques et les banques du pays à la suite de la décision du Parlement estonien de déboulonner la statue du Soldat de Bronze, monument à la gloire de l’Armée rouge. Tallin accueille chaque année l’exercice interallié de référence en cyberdéfense « LockShield ».

Le protocole de défense cyber commun, signé en 2015, entre les pays baltes et la Pologne témoignent de leur précocité dans l’importance qu’ils accordent au cyber et montre le partage à l’échelle régionale des mêmes problématiques sécuritaires vis-à-vis de la Russie.

Un modèle qui repose sur la coopération interalliée

Du fait de leur manque de masse, les forces baltes, en cas de conflit de haute intensité, ont d’abord pour objectif de retarder l’avancée des forces ennemies en attendant l’arrivée de pays alliés, en particulier des pays proches géographiquement (Pologne) et les pays de l’OTAN. Ainsi, les armées baltes ont développé une coopération étroite à l’échelle régionale et otanienne depuis des années.

Une coopération régionale étroite

La coopération militaire régionale se décline tout d’abord à l’échelle des États baltes eux-mêmes. En effet, les trois pays ont signé un mémorandum de coopération des ministres de la défense en 1992. La coopération trilatérale a permis de former un bataillon balte de maintien de la paix (BALBAT), une escadre commune (BALTRON), un dispositif commun de surveillance aérienne (BALTNET) ainsi qu’un collège balte de défense (BALTDEFCOL) [8].

Les pays baltes ont également développé leur coopération avec les pays scandinaves, qui ont des doctrines de défense proches de celles des pays baltes, à travers leur adhésion en 2017 à la Coopération de défense nordique (Nordic Defense Cooperation, NORDEFCO) (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Finlande), qui promeut la coopération militaire entre ses membres. Des unités communes ont même été créées. Ainsi, la brigade d’infanterie mécanisée lituanienne « Iron Wolf » est intégrée dans une division danoise [9]. Les pays baltes et les pays scandinaves font également partie de la Joint Expeditionary Force, qui est une force expéditionnaire créée par le Royaume-Uni en 2014 et qui permet aux armées membres de s’entrainer ensemble.

Les États baltes coopèrent étroitement avec la Pologne et l’Ukraine, deux pays aux doctrines de défense proches également et qui font face à la menace militaire russe. Ainsi, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine ont créé en 2014 un bataillon commun, le LITPOLUKRBRIG (Lithuanian, Polish, Ukrainian Brigade), qui est composé de trois bataillons et d’un groupe de forces spéciales. Ce bataillon trinational permet de réaliser des formations militaires communes, de réaliser des exercices interalliés régulièrement, de disposer d’un commandement aux normes de l’OTAN et de mener conjointement des opérations sous mandat de l’ONU.

L’OTAN, principale garantie de sécurité pour les pays baltes, se trouve renforcée localement par l’adhésion de la Suède et de la Finlande

Comme l’ensemble des pays de la région, les pays baltes considèrent l’OTAN comme leur principale garantie de sécurité et le fondement de leur politique de défense, ce qui explique leur scepticisme vis-à-vis de la construction de l’autonomie stratégique européenne. Du fait de leur positionnement géographique et de leur manque de masse militaire, les trois États baltes bénéficient pleinement eux aussi de la « présence avancée renforcée » de l’OTAN avec la présence dans chacun des trois pays d’un groupement tactique multinational. Décidée en 2016 lors du Sommet de Varsovie, le renforcement de la présence militaire de l’Alliance sur son flanc oriental résulte de la menace militaire croissante que fait peser la Russie sur l’OTAN, et en particulier sur les pays baltes, depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Les groupements tactiques présents en Estonie, en Lituanie et en Lettonie sont dirigés par des nations-cadres, respectivement le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada, auxquels participent d’autres pays, comme illustré ci-dessous.

Source : Ministère des Armées

La France est par exemple présente sur la base estonienne de Tapa à hauteur de 300 soldats. En retour de cette contribution, l’Estonie, disposant pourtant d’une petite armée, a participé à l’opération française Barkhane au Sahel entre 2018 et 2022 à hauteur d’une cinquantaine de soldats puis à la Task-Force européenne « Takuba », également au Sahel, à travers un groupe de forces spéciales. La présence avancée de l’OTAN permet aussi aux pays baltes de combler leurs trous capacitaires, notamment en armements lourds, en termes d’artillerie, de blindés ou de systèmes anti-aériens, et ainsi dissuader tout aventurisme militaire russe. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine de février 2022, les effectifs de l’OTAN ont été gonflés. Ainsi, les troupes positionnées en Lettonie sont passées de 1700 à 4000 en février 2022. En Estonie, le Royaume-Uni a annoncé qu’elle enverrait 1000 hommes supplémentaires en plus des 2200 déjà sur place lors du Sommet de Madrid de juin 2022 [10]. Seul le groupement tactique basé en Lituanie aurait perdu près de 300 hommes. Les alliés ont également convenu de renforcer les moyens sur place en artillerie et en défense antiaérienne. Les pays baltes, qui ne disposent pas d’avions de chasse ou d’hélicoptères d’attaque, bénéficient aussi du dispositif otanien de police du ciel, qui prévoit que les pays-membres dotés de moyens aériens participent à la sécurité aérienne des pays-membres qui n’en disposent pas. Ce dispositif a été renforcé et fonctionne désormais continuellement dans les pays baltes. Outre l’OTAN, les pays baltes comptent beaucoup sur les États-Unis pour assurer leur défense, comme l’illustre l’accord bilatéral de défense entre la Lituanie et les États-Unis signé le 17 janvier 2017.

Au même titre que leurs voisins baltes, la Suède et la Finlande, pays riverains de la Baltique, se sentent particulièrement menacés par la Russie, qui viole régulièrement les espaces maritimes et aériens des deux pays scandinaves et qui lancent régulièrement des attaques hybrides contre eux. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a définitivement fait basculer leur opinion publique et les deux pays ont décidé d’abandonner leur neutralité historique pour soumettre leur candidature à l’OTAN en mai 2022.A travers leur adhésion, la défense des pays baltes n’en sort que renforcée alors que la Baltique va devenir un « lac OTAN ». De plus, la Suède et la Finlande n’ont pas attendu leur candidature à l’OTAN ni même l’invasion russe de l’Ukraine pour opérer une remontée capacitaire et adopter un modèle de défense adapté à leurs contraintes, proches de celles des pays baltes. La Suède a ainsi dès 2020 augmenté ses dépenses de défense de 40% [11] afin d’atteindre l’objectif des 2% du PIB consacrés à la défense à moyen terme, contre 1,3% en 2021. Grâce à la hausse des dépenses militaires, elle veut augmenter ses effectifs, actuellement à 55 000, à 90 000 hommes. Des moyens devraient être alloués à la marine suédoise, elle qui ne dispose ni de frégates ni de destroyers mais de 5 sous-marins à propulsion classique, moyens dont manquent cruellement les pays baltes. Pour cela, la Suède investit dans son industrie de défense (dominée par l’entreprise Saab). Les armées suédoises disposent en outre de 120 chars de combat et de 53 avions de combat [12], ce qui contribuera à la sécurisation de la région. La Suède a également revue sa doctrine militaire, en adoptant une stratégie comparable à celle des pays baltes de « défense totale ». Le royaume a ainsi rétabli le service militaire en 2017 et a constitué des forces de défense territoriale. Pour faire face à la Russie dans la Baltique, la Suède a remilitarisé l’île de Götland. Enfin, afin de pouvoir contrer les attaques cyber et informationnelles, elle a rouvert l’Agence pour la défense psychologique le 10 mai 2022 pour y sensibiliser sa population. La Finlande a quant à elle conservé la conscription. Les armées finlandaises disposent en particulier de 100 chars de combat et de 107 avions de combat [13], dont prochainement des avions de 5ème génération américains F-35. Bien qu’elle ne compte que 12 000 soldats professionnels, elle dispose surtout de 870 000 réservistes [14], qui constitue la base de son modèle de défense, lui aussi axé sur la « défense totale ». L’ensemble de la population et des acteurs y sont impliqués. Ainsi, le « Comité de sécurité » regroupe des fonctionnaires, des membres des forces de sécurité, mais aussi des employés d’entreprise qui sont en charge de proposer des stratégies de résilience en cas de besoin. Bien qu’elle n’était pas membre de l’OTAN au moment de son inauguration, la Finlande accueille à Helsinki le Centre d’excellence de l’OTAN et de l’UE contre les menaces hybrides, preuve encore une fois que les pays de la région ont développé une expertise dans ces domaines, notamment face à la Russie. La Finlande investit sérieusement dans sa défense, alors qu’elle y consacrait en 2021 2% de son PIB et qu’elle a annoncé en juin qu’elle augmenterait ses dépenses de 40% d’ici à 2026. La hausse de l’effort militaire devrait servir à acquérir de nouveaux armements et équipements qui ont montré leur utilité en Ukraine : armes antichars et antiaériennes, missiles, ou encore pour reconstituer ses stocks de munitions [15].


Sources

[1] Armin Afferi, « En Lettonie, dans la ligne de mire de Poutine », lepoint.fr, 5 mars 2022, mis à jour le 7 mars 2022.

[2] Voir l’analyse de Jean-Sylvestre Mongrenier, Histoire, géopolitique et perspectives de la mer Baltique, Desk Russie, 27/05/2022. Disponible sur : https://desk-russie.eu/2022/05/27/histoire-geopolitique-et-perspectives.html

[3] Le Monde, Guerre en Ukraine : les livraisons d’armes et l’aide militaire promises par les pays occidentaux, 22/04/2022. Disponible ici : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/22/guerre-en-ukraine-les-livraisons-d-armes-et-l-aide-militaire-promises-par-les-pays-occidentaux_6123323_3210.html

[4] Military Balance 2012 et 2022, International Institute for Security Studies.

[5] Voir l’article de Thibault Fouillet, La remontée en puissance terrestre des Etats baltes : mise en perspective opérationnelle, Défense & Industries n°16, juin 2022. Disponible ici : https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/remontee-puissance-terrestre-etats-baltes-mise-perspective-operationnelle-2022

[6] Military Balance 2022, International Institute for Security Studies.

[7]Le Monde, La Lituanie a passé commande pour acquérir 18 canons Caesar français, 14/06/2022. Disponible ici : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/14/la-lituanie-a-passe-commande-pour-acquerir-18-canons-caesar-francais_6130287_3210.html

[8] Mongrenier, Jean-Sylvestre. « La nouvelle OTAN : des rivages nord-atlantiques aux confins eurasiatiques », Hérodote, vol. no 118, no. 3, 2005, pp. 27-47.

[9] Thibaut Fouillet, Coup d’œil à l’Est : les implications stratégiques de la guerre en Ukraine pour les États baltes et la Pologne, Note n°09/22, 16/03/2022. Disponible ici : https://www.frstrategie.org/publications/notes/coup-oeil-est-implications-strategiques-guerre-ukraine-pour-etats-baltes-pologne-2022

[10] Élise Vincent, Cédric Pietralunga, OTAN-Russie : le retour à la logique de guerre froide, Le Monde, 01/07/2022. Disponible ici : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/01/otan-russie-le-retour-a-la-logique-de-guerre-froide_6132883_3210.html

[11] Laurent Lagneau, La Suède va encore augmenter significativement ses dépenses militaires et les porter à 2% du PIB, Zone Militaire, 11/03/2022. Disponible ici : http://www.opex360.com/2022/03/11/la-suede-va-encore-augmenter-significativement-ses-depenses-militaires-et-les-porter-a-2-du-pib/

[12] Military Balance 2022, International Institute for Security Studies.

[13] Military Balance 2022, International Institute for Security Studies.

[14]Anne-Françoise Hivert, En Finlande, la population se tient prête en cas d’invasion par la Russie : « Si la guerre éclate, je veux pouvoir défendre mon pays », Le Monde, 06/05/2022. Disponible ici : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/06/si-la-guerre-eclate-je-veux-pouvoir-defendre-mon-pays-en-finlande-la-population-se-tient-prete-en-cas-d-invasion-par-la-russie_6125010_3210.html

[15] Le Figaro, La Finlande va augmenter de 40% son budget de la défense d’ici 2026, 06/04/2022. Disponible ici : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-finlande-va-augmenter-de-40-son-budget-de-la-defense-d-ici-2026-20220406