Stratégie et contre-influence : comment les Etats-Unis tentent de contenir l’expansion géopolitique chinoise mondiale - Partie 1

Tristan Segur et Alan Segur

Note à l’intention du lecteur : Le présent article sera publié en trois parties, consécutivement sur trois semaines. La première publication comprend l’introduction et la première partie, bonne lecture.

Table des matières :

  • Introduction

  • Le train laotien, nouvel élément du maillage d’infrastructures en Asie du Sud-Est.

  • La Belt and Road Initiative, outil de recomposition géopolitique.

  • L’espace Indo-Pacifique : théâtre de contre-influence et de jeux d’alliances

    • A) Etats-Unis : le déploiement d’une stratégie de contre-influence

      B) Le jeu des alliances chinois

  • Conclusion

  • Bibliographie

Introduction

“Ce jour est très important dans l’histoire du Laos. Ce nouveau moyen de transport moderne permettra de développer encore plus notre pays. C’est un rêve devenu réalité (1)”. Par ces mots, le Président de la République laotien, Thongloun Sisoulith, inaugure la première ligne de chemin de fer du pays. Longue de 417 kilomètres, cette ligne reliant la Chine au Laos s’étire de la capitale laotienne, Vientiane, jusqu’à la ville frontalière de Boten.

Depuis 2013, l’initiative des Nouvelles routes de la soie, aussi nommée Belt and Road Initiative (BRI), constitue un outil de la stratégie d’influence chinoise de par le monde. Comme l’illustre l’exemple laotien, elle se traduit notamment par des investissements massifs dans la construction d'infrastructures à l’étranger. Afin de contrer l'expansion chinoise, les Etats-Unis, qui lui dispute désormais le statut de première puissance économique mondiale (2) , propose également des programmes d’investissements. Cette position de Washington est décrite par Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russes, comme une volonté de contenir (3) la puissance de Pékin. Celui-ci dénonce le retour de ce qui s’apparente à “une mentalité de guerre froide (4)”.

Dès lors, comment les recompositions géopolitiques induites par la Chine, à l’image du train laotien, aboutissent à une bipolarisation des relations en Indo-Pacifique entre les Etats-Unis et la Chine.

En procédant à l’étude de la construction d’une ligne ferroviaire au Laos en tant que nouvel élément du maillage d’infrastructures en Asie du Sud-Est, nous verrons en quoi cela illustre, au travers de la Belt and Road Initiative, le développement de l’influence chinoise au sein de théâtres régionaux. Enfin, nous analyserons la contribution des nouvelles routes de la Soie à la création d’un jeu d’alliances et de contre-influence en Indo-Pacifique.

Le train laotien, nouvel élément du maillage d’infrastructures en Asie du Sud-Est.

L’inauguration de la voie de chemin de fer du Laos, un pays enclavé d’une part parce qu’il n’a pas accès à la mer, et d’autre part parce que ses voies de communication sont réduites (une seule voie ferré, de moins de 10 km), est une étape dans la construction d’une voie de communication ferroviaire à l’échelle de l’Asie du Sud-Est. C’est une des raisons pour laquelle Pékin investit massivement. En effet, la Chine est le principal financeur de ce projet, estimé à près de 6.2 milliards d’euros (5) : le chemin de fer est financé à 60 % par un emprunt à l’Export-Import Bank of China. Les 40 % restants sont financés par une coentreprise entre les deux pays dont la Chine détient 70% du capital. Sur le reste de la participation, le gouvernement lao débourse près de 250 millions de dollars de son budget national et emprunte 480 millions de dollars supplémentaires à l’Export-Import Bank of China.

Ainsi, “la province du Yunnan va accélérer la construction du chemin de fer transasiatique dans la province et vise à achever un réseau ferroviaire reliant la Chine au Vietnam, au Laos et au Myanmar (6)”. Wang Gengjie, directeur général de China Railway Kunming Group Co, précise que “notre objectif est de construire un réseau ferroviaire moderne qui pourrait relier la capitale provinciale, Kunming, aux nations limitrophes en cinq heures et aux provinces voisines en huit heures”. A l’instar de la fameuse ligne Kunming-Singapore, ce projet représente plus largement une alternative commerciale au détroit de Malacca, source de tension avec les Etats-Unis et de dilemmes pour Pékin.

Le chemin de fer transasiatique est un Accord intergouvernemental (7) pour la construction d’un réseau de chemin de fer international, dont la carte suivante illustre son volet d’Asie du Sud-Est :

Ratifié par Pékin, mais aussi par ses voisins du Sud, dont le Laos, le Cambodge, la Thaïlande et la Birmanie (Myanmar), ce réseau permet de transporter des personnes, mais aussi et surtout des marchandises produites en Chine. Celles-ci peuvent être consommées dans ces pays, ou exportées vers d’autres continents puisque plusieurs ports sont desservis, comme ceux de Rangoon, Bangkok et Singapour. Si certains d’entre eux disposent de capacités de trafic de marchandise assez faibles, comme celui de la capitale économique birmane, d’autres se classent parmis les plus importants du monde, à l’instar de celui de Singapour, deuxième plus important port (8) en flux de conteneurs (EVP).

Finalement, ce train laotien n’est qu’un maillon d’un objectif à plus grande échelle : c’est “un projet répondant à des ambitions de puissance chinoise, à travers un réseau complexe et multimodal d’infrastructures, et de nouvelles circonstances géopolitiques régionales (9)”.

La semaine prochaine…

  • La Belt and Road Initiative, outil de recomposition géopolitique.

Notes

(1) “Entre la Chine et le Laos, une frontière prospère“, France 24, 01/07/2022, https://www.youtube.com/watch?v=97sGwtwV1v8

(2) Barthélémy Courmont, “La Chine, première puissance économique mondiale : et maintenant ?”, Revue internationale et stratégique, 03/2015, https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-3-page-32.htm

(3) Ashok Sharma, “Russia Says US Indo-Pacific Strategy is to Contain China”, The Diplomat, 15/01/2020, https://thediplomat.com/2020/01/russia-says-us-indo-pacific-strategy-is-to-contain-china/

(4) “Wang Yi Holds Talks with Foreign Minister Sergey Lavrov of Russia”, Ministry of Foreign Affairs of the People's Republic of China, 11/09/2020, https://www.fmprc.gov.cn/ce/cgmb/eng/zgyw/t1814915.htm

(5) Sebastian Strangio, “Laos Stumbles Under Rising Chinese Debt Burden“, The Diplomat, 07/09/2020, https://thediplomat.com/2020/09/laos-stumbles-under-rising-chinese-debt-burden/

(6) “Yunnan province will speed up construction of the Trans-Asian Railway within the province and aims to complete a railway network connecting China with Vietnam, Laos and Myanmar”, Yang Wanli & Li Yingqing, “Trans-Asian Railway construction on track”, China Daily, 17/03/2018, https://www.chinadailyhk.com/articles/201/74/20/1521252279783.html

(7) “Accord intergouvernemental sur le réseau du chemin de fer transasiatique”, ONU, 12/04/2006, https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XI-C-5&chapter=11&clang=_fr

(8) “One Hundred Ports”, Lloyd List, 2021, https://lloydslist.maritimeintelligence.informa.com/-/media/lloyds-list/images/top-100-ports-2021/top-100-po rts-2021-digital-edition.pdf

(9) Frédéric Lasserre, Eric Mottet , “Les enjeux géopolitiques de la Belt and Road Initiative : l’exemple laotien du corridor économique Chine-Indochine”, L’information géographique, 04/2020, https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2020-4-page-68.htm