La politique d’Erdogan dans le conflit syrien : entre ambitions néo-ottomanes et syndrome de Sèvres (3/4)

Mathis Rulliere

La Turquie, ancienne puissance hégémonique du Moyen-Orient comme centre du pouvoir de l’empire ottoman devenue en 1920 Etat-nation incomplet, semble voir sa politique étrangère soumise à un difficile équilibre entre son ambition affichée de retrouver sa domination sur le Proche et le Moyen-Orient et les réalités historiques de la formation de son territoire. 

Le conflit Syrien, né en 2011 dans le contexte du printemps arabe de la prise des armes de l’opposition au régime de Bachar Al-Assad, illustre cette partition de la politique étrangère turque. Alors que la Syrie partage 920 km de frontière avec la Turquie, frontière qui a été au cœur de tensions historiques entre les deux voisins, le conflit syrien présente en effet à la fois un enjeux géopolitique majeur du Moyen-Orient permettant à la Turquie d’occuper de nouveau une place centrale dans la région, et un enjeu de sécurité intérieur majeur rappelant les limites de la puissance turque.

Les présidents turc Recep Tayyip Erdogan, russe Vladimir Poutine et iranien Hassan Rohani ont échangé une poignée de main devant les caméras avant d'entamer les discussions sur le dossier syrien au palais présidentiel à Ankara le 4 avril 2018.

Les présidents turc Recep Tayyip Erdogan, russe Vladimir Poutine et iranien Hassan Rohani ont échangé une poignée de main devant les caméras avant d'entamer les discussions sur le dossier syrien au palais présidentiel à Ankara le 4 avril 2018.

Le poids de l’histoire : une frontière au cœur des tensions ethniques et de la discorde turco-syrienne

Territoire turc suite au traité de Sèvres (source : Wikipédia)

Territoire turc suite au traité de Sèvres (source : Wikipédia)

La frontière entre la Turquie et la Syrie est le fruit, comme pour la plupart des frontières établies au Moyen Orient, de l’éclatement de l’Empire Ottoman défait durant la Première Guerre mondiale via le traité de Sèvres signé le 10 août 1920. Ce traité amputait la Turquie de certains de ses territoires, et a abouti à une guerre d’indépendance, à l’issue de laquelle la Turquie avait fini par l’emporter, lui substituant le traité de Lausanne du 24 juillet 1923, accordant à la Turquie son territoire actuel.

 La Turquie restera marquée dans sa politique étrangère par cet épisode de l’histoire, qualifié de « Syndrome de Sèvres ». Ce syndrome affectant la politique étrangère turque combine la crainte d’une balkanisation interne, c’est-à-dire de la division du territoire national et des populations en divers entités politiques, et la crainte d’une subjugation externe, autrement dit de voir la Turquie tomber sous l’influence ou la domination d’une ou plusieurs puissances étrangères[1].

L’héritage de ce syndrome de Sèvres avait déjà poussé la Turquie à faire de sa frontière avec son voisin syrien une priorité. Alors que cette frontière n’est démarquée par aucun élément géographique permettant sa protection, la Turquie avait conduit dès les années 1920 à des politiques d’expulsion. Mais la France, qui s’était vu confier l’administration de la Syrie par un mandat de la Société des Nations, avait décidé d’installer activement les minorités ethniques, et notamment kurdes, le long des frontières « comme des milices »[2] afin de la stabiliser en jouant sur leur ressentiment à l’égard de la Turquie. Finalement les deux voisins se sont accordés en 1926 sur l’établissement d’une bande dématérialisée de 10km qui devait s’établir de chaque côté de la frontière turco-syrienne, et l’éloignement des groupes ethniques opposés au gouvernement turc[3].

Cependant, à la suite de l’indépendance de la Syrie en 1946, les tensions le long de la frontière turco-syrienne ont été ravivées, notamment du fait de la politique de soutien au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) kurde menée par le président syrien Hafez Al-Assad. Cette politique avait en effet fait de la Syrie la base arrière de l’insurrection du groupe considéré comme terroriste par la Turquie[4]. Ce soutien au PKK, qui a de 1984 à 1998 intensifié son insurrection militaire causant la mort de 35 000 personnes en Turquie, a réveillé le syndrome de Sèvres turc et a poussé la Turquie à réagir par d’importantes démonstrations de force à la frontière turco-syrienne. La frontière turco-syrienne a donc historiquement été au cœur de la politique étrangère turque, marquée notamment par le syndrome de Sèvres.

Une politique syrienne au cœur des ambitions néo-ottomanes turques

L’arrivée de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir, d’abord en tant que premier ministre entre 2003 et 2014 puis comme président de la république depuis 2015, semble changer les considérations de la Turquie en matière de politique étrangère. Erdogan semble en effet porter l’ambition d’une Turquie « néo-ottomane ». Cette doctrine du néo-ottomanisme, forgée sous l’impulsion d’Ahmet Davutoglu, vise un retour de l’influence turque dans les anciens espaces ottomans ainsi qu’une émergence de la Turquie comme puissance à « 360 degré » à partir de son territoire en jouant de sa position de pivot entre les continents[5].

Cette politique a pris tout d’abord la forme d’une montée en puissance du soft power turc, et a favorisé un rapprochement de l’Etat anatolien avec ses voisins moyen-orientaux. La Turquie avait notamment établi en 2010 un projet d’intégration régionale avec la Jordanie, le Liban et son voisin syrien, groupe appelé « le Quartet du Levant », devant aboutir à la création d’un « espace ShamGen »[6].

Mais les Printemps arabes de 2011 ont changé la donne pour la Turquie vue comme un modèle par certaines mouvances d’opposition démocratique, notamment en Egypte et en Tunisie, qui voulaient s’inspirer du modèle turc[7]. Faisant le constat qu’une opportunité se présentait ainsi de renforcer son influence en soutenant l’opposition aux régimes établis, la Turquie décida de changer de stratégie.

Ainsi, concernant la Syrie, elle décida de soutenir l’opposition syrienne et de s’opposer au maintien du régime de Bachar Al-Assad. Le régime syrien est dirigé par Bachar Al-Assad, issu du parti Baas prônant un nationalisme panarabe dont la laïcité est l’un des piliers, et soutenu par la minorité alaouite du pays (mouvance proche du chiisme). Celui-ci fait depuis 2011 face à une guerre civile l’opposant notamment à des groupes défendant une ligne sunnite fondamentaliste à la doctrine proche de celle des frères musulmans, qui entretiennent des liens avec le parti AKP d’Erdogan, parti conservateur sunnite[8].

La Turquie a ainsi décidé, afin d’accroître son influence en Syrie, de soutenir officieusement les opposants au régime (comme l’avait fait le régime syrien avec le PKK), en laissant notamment un embryon d’armée syrienne libre se créer sur son sol. Officiellement, la Turquie a fait également montre d’une franche opposition au régime de Bachar Al-Assad, faisant remonter le dossier syrien à l’ONU, demandant explicitement le départ du dirigeant syrien et ouvrant dès 2011 ses frontières à près de 3 millions de réfugiés.

Zone d'installation des populations kurdes (source : The Economist)

Zone d'installation des populations kurdes (source : The Economist)

Cependant cette stratégie s’est rapidement vue confrontée aux réalités de la politique interne turque. L’AKP a en effet considérablement changé, en conséquence du conflit syrien, sa politique concernant la minorité kurde, représentant 12 à 15 millions de personnes vivant en majeure partie à l’est de la Turquie, et notamment à la frontière avec la Syrie. Le conflit syrien change en effet la donne en améliorant les perspectives d’un Kurdistan autonome voire indépendant, puisque dès 2012 le gouvernement syrien a quitté les terres à majorité kurde du nord-est du territoire, laissant le Parti de l’Union démocratique (PYD) progressivement établir une administration kurde autonome, dont la proclamation d’une République du Rojava embryon de gouvernement kurde autonome est l’aboutissement.

De plus, du fait du combat contre l’Etat islamique du bras armé du PYD, l’unité de protection du peuple (YPG), les kurdes ont réussi à obtenir la sympathie des opinions publiques occidentales et le soutien des Etats-Unis, ainsi que de la Russie qui a affirmé explicitement son soutien au PYD dès l’automne 2015. Le PKK, encouragé par le succès du PYD en Syrie et le mouvement kurde irakien, a ainsi repris dès 2015 sa lutte armée.

La Turquie a en conséquence fait l’objet dès l’été 2015 d’un regain d’intensité des activités terroristes au sein du pays. Le pays subi une multiplication des attaques terroristes, menées par Daech mais également par les faucons de la liberté du Kurdistan (TAK) et le PKK. Ces attaques ont fortement marqué l’opinion publique, avec notamment une attaque attribuée à Daech le 10 octobre 2015 contre une manifestation pro-kurde ayant entraîné le décès de 100 personnes, une autre attaque attribuée également à l’Etat islamique visant des touristes à la discothèque Reina à Istanbul qui a fait 39 morts le 1er janvier 2017, ainsi qu’une attaque revendiquée par le TAK contre des policiers turcs ayant tué 44 personnes le 10 décembre 2016. Cette extension de l’instabilité syrienne sur le territoire turc, qui servait de base arrière à de nombreux groupes de l’opposition syrienne et très probablement à certains groupes islamistes, a fortement affaibli le gouvernement turc, faisant croître les oppositions à son égard. Cette instabilité a fini par aboutir à une tentative de coup d’état dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016 à l’encontre du gouvernement turc d’Erdogan[9].

L’instabilité et la multiplication des attaques terroristes, menées par des islamistes mais également par les groupes indépendantistes kurdes, ont ravivé le syndrome de Sèvres et la peur d’une balkanisation interne de la Turquie. Ainsi dès 2016, alors que le coup d’état a rapidement été maîtrisé, Erdogan a mené une politique de répression de l’opposition, et profité du regain de peur insufflé par les attaques du PKK et du TAK pour désigner explicitement les kurdes comme force d’opposition ennemie. Ce bouleversement conduira à un changement radical de la stratégie turque concernant le conflit syrien, marquant un abandon des ambitions néo-ottomanes pour une stratégie de répression des mouvances kurdes insufflée par un retour du syndrome de Sèvres. La Turquie semble alors renoncer, du moins en Syrie, à ses ambitions sous le poids de l’histoire.

L’intervention militaire Turque en Syrie : l’emprise du « syndrome de Sèvres » sur la stratégie Turque

Seulement un mois après la tentative de coup d’Etat à l’encontre de son parti, Recep Tayyip Erdogan lance dès le 24 août 2016 l’opération « Bouclier de l’Euphrate ». La Turquie change alors de stratégie et décide d’intervenir directement dans le conflit syrien afin, sous couvert du prétexte de la lutte contre Daech, de stopper la progression des kurdes du parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie[10]. En désignant le PYD en tant qu’allié supposé du PKK comme cible, et en décidant d’opérations militaires à leur encontre, les responsables politiques, Erdogan en tête, se font responsables de la stratégie militaire dont ils décident les orientations[11]. Ce changement, alors que le gouvernement turc suivait traditionnellement dans le cadre du Conseil de défense les conseils de l’establishment militaire, marque la volonté d’Erdogan de renforcer le pouvoir, et notamment le pouvoir exécutif, de son parti sur les institutions du pays.

Parallèlement à cette première intervention, la Turquie va faire évoluer sa position concernant le départ de Bachar Al-Assad, et opérer un rapprochement stratégique avec la Russie. Alors que les occidentaux avaient adopté une posture attentiste durant le coup d’état de la nuit du 15 au 16 juillet 2016, la Russie avait en effet apporté son soutien à Erdogan, scellant un rapprochement entre Turquie et Russie malgré les vives tensions qui animait les relations entre les deux pays suite à l’abattement par la Turquie d’un avion de chasse russe en Syrie en 2015[12]. C’est ainsi que la Russie, la Turquie et l’Iran ont formé le triangle d’Astana par l’accord du même nom signé le 4 mai 2017. Cet accord d’Astana, négocié sans représentants du gouvernement syrien ou de ses opposants, visait à créer en Syrie des zones de sécurité dans les territoires sous contrôle de l’opposition syrienne, dont les forces armées de l’un des signataires assurerait la sécurité[13]. C’est ainsi que la Turquie s’est vue désignée garante de la sécurité de la région d’Idleb aux mains de djihadistes et forces de l’opposition syrienne, et a établi une force d’interposition dans la région. Malgré la remise en cause de cet accord par le gouvernement syrien et l’opposition syrienne, cet accord a permis à la Turquie de sécuriser une partie de sa frontière avec la Syrie sans pour autant lui permettre d’établir une véritable zone-tampon.

Cependant le conflit n’est pas stabilisé. À la mi-janvier 2018 les Etats-Unis ont ainsi annoncé la volonté de créer une force de sécurisation de 30 000 hommes, constituée à partir des forces de l‘opposition démocratique syrienne alliées aux Etats Unis, y compris l’unité de protection du peuple (YPG) kurde. Cette force devait être affectée au nord de la Syrie le long d’une partie de la frontière turco-syrienne[14]. Cela semble avoir ravivé au sein du gouvernement turc les symptômes du syndrome de Sèvres, l’opération américaine devant aboutir à l’établissement de forces indépendantistes kurdes aux frontières de la Turquie, ravivant la crainte de voir la Syrie redevenir une base arrière du PKK[15]. Aussi le 20 janvier 2018 la Turquie décide, malgré le risque de s’attirer les foudres de l’administration américaine, de lancer une nouvelle intervention militaire, l’opération « Rameau d’olivier ». Cette opération a en Turquie jouit d’un soutien politique large ayant certainement encouragé cette prise de risque. Les principaux partis (à l’exception du HDP pro-kurde) ont en effet largement soutenu celle-ci, et les médias nationaux ayant opéré une couverture favorable de cette opération[16]. Cependant les avancées turques ont été limitées par la présence dans les cantons proches d’Afrin auprès des milices kurdes de près de 2 000 soldats des forces spéciales américaines[17].

Finalement le 6 octobre 2019 l’accélération du désengagement américain du fait de la décision de Donald Trump de retirer l’ensemble des troupes américaines présentes en Syrie donne à Erdogan une opportunité majeure, pouvant être interprété comme un feu vert[18], de mettre définitivement un terme aux espoirs kurdes d’autonomie complète ou d’indépendance de la république du Rojava. Faisant fi des menaces de nouvelles sanctions économiques de Donald Trump via twitter Erdogan a décidé de lancer une nouvelle intervention militaire le 9 octobre 2020, dénommée « Source de paix »[19]. Cette opération avait pour objectif d’établir une zone tampon de 30km au-delà de la frontière turco-syrienne, au sein du territoire syrien, objectif clé selon Recep Tayyip Erdogan lui-même qui a avancé que par cette intervention la Turquie allait pouvoir « détruire le couloir de la terreur qui a tenté de s’établir le long de notre frontière sud »[20]. L’objectif à terme est également politique. La présence des près de 3,6 millions de réfugiés syriens en Turquie a en effet amené de plus en plus de contestations de la politique menée par Erdogan. Cette contestation a contribué à sa défaite aux élections municipales dans la plupart des grandes villes du pays plus tôt en 2019. Le gouvernement Erdogan prévoit donc à terme d’installer les réfugiés syriens dans la « safe zone » qu’elle établirait à sa frontière.

La Syrie au moment de l'opération "Source de paix" (Source : The Economist)

La Syrie au moment de l'opération "Source de paix" (Source : The Economist)

La stratégie turque semble payante. Après avoir établi des sanctions économiques le 14 octobre 2019, dès le 17 octobre 2019 les Etats-Unis concluaient un accord avec la Turquie, opérant de larges concessions à Erdogan au détriment de l’ancien allié kurde. Cet accord prévoyait que la Turquie devait cesser le feu durant 120 heures afin que l’unité de protection du peuple (YPG) kurde puisse se retirer à plus de 30km de la frontière turco-syrienne et restitue les armes que lui avait confié l’administration américaine pour combattre l’Etat Islamique[21]. En signant cet accord, les États-Unis abandonnent une nouvelles fois l’allié kurde et donnent à la Turquie leur bénédiction pour l’établissement de leur « safe zone », ce qui marque une victoire diplomatique majeure pour la Turquie, très critiquée outre-Atlantique par les démocrates et les républicains et entraînant la démission de James Mattis secrétaire à la défense[22]

Les kurdes, quant à eux, n’ont pas d’autre choix que de se jeter dans les bras du régime syrien, et l’unité de protection du peuple (YPG) signe dès le 13 octobre 2019 sur la base aérienne russe de Khmeimim un accord actant la fin des espoirs d’indépendance ou d’autonomie kurde de la République du Rojava. Par cet accord les milices kurdes sont en effet mises sous le contrôle du 5ème corps de l’armée syrienne, laissant le gouvernement syrien reprendre de fait possession du nord-est de son territoire[23]. La trahison des kurdes par les américains fut ainsi suivie par celle de la Russie, qui le 22 octobre 2019 conclut avec la Turquie à Sotchi un accord entérinant l’établissement de la « safe zone » turque 30km au-delà de la frontière turco-syrienne, en laissant aux milices kurdes jusqu’au 29 octobre pour quitter la zone avant que les troupes turques, syriennes et russe ne viennent s’assurer de leur départ[24]. La Turquie aura donc su, au prix d’une aggravation de la dégradation de ses relations avec ses alliés de l’OTAN, mettre fin aux aspirations du parti de l’union démocratique (PYD) syrien et de sa milice l’YPG d’établir au nord-est de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, une république kurde autonome, diminuant les risques de voir cette région servir de base arrière au PKK. Cependant ce changement de stratégie dans le conflit syrien semble acter un recul de la doctrine « néo-ottomane » au profit d’un retranchement national, anatolien, de la stratégie turque[25].

Si la Turquie semble avoir écarté le risque kurde, elle n’en demeure pas moins empêtrée dans le complexe conflit syrien. Le jeudi 27 février 2020, lors d’une frappe aérienne attribuable à la Syrie ou à la Russie, la Turquie a subi l’attaque la plus mortelle contre ses troupes depuis deux décennies, voyant 33 de ses soldats tués dans la province d’Idlib[26]. Face à l’incursion syrienne dans la région en violation des accords de Sotchi de 2018, qui risquerait de mettre en danger ses troupes sur place et d’entraîner l’arrivée d’un million de réfugiés supplémentaires, la Turquie a décidé de contre-attaquer par des frappes aériennes et de drones, infligeant de lourdes pertes au régime syrien[27]. Si la Russie a décidé de fermer les yeux sur les pertes infligées à l’armée syrienne, probablement pour signifier à Bachar Al-Assad sa dépendance à l’égard de ses systèmes anti-aériens et plus largement de son soutien, elle a cependant déployé le 2 mars 2020 sa police militaire dans la ville stratégique de Saraqib, empêchant la Turquie d’avancer trop en avant dans les terres reprises par l’armée syrienne. La Russie préserve ainsi sa crédibilité. Erdogan quant à lui joue également gros dans cette dernière évolution, sa politique syrienne étant de plus en plus critiquée sur le plan intérieur, et la crédibilité internationale de la Turquie comme grande puissance régionale dépendant de sa capacité à défendre ses intérêts en Syrie. Dalip Galay de l’Université d’Oxford a souligné l’enjeu considérable que présente la bataille d’Idlib, avançant que pour Erdogan « un revers majeur à Idlib serait un revers majeur pour son image »[28].

Ainsi, si la Turquie d’Erdogan semble avoir pour ambition de restaurer son influence au Moyen-Orient dans une optique néo-ottomane, elle semble avoir dû en Syrie renoncer, du moins partiellement et temporairement, à cette ambition. Le syndrome de Sèvres semble en effet avoir, comme un retour de l’histoire, fortement impacté la politique syrienne turque. La Turquie semble, face à la menace d’une balkanisation interne kurde, avoir renoncé à ses ambitions d’influence en Syrie afin d’assurer la stabilité de ses frontières. S’étant éloigné de ses alliés occidentaux, elle semble avoir accepté la réalité d’une influence grandissante de la Russie au Moyen-Orient, et particulièrement en Syrie où il semble aujourd’hui que Vladimir Poutine ait réussi à s’imposer comme l’acteur incontournable du conflit syrien.



[1] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.55-70

[2] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.59

[3] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.59-60

[4] ibid.

[5] « Turquie : du kémalisme au néo-ottomanisme », Dorothée SCHMID, IFRI, article paru dans la revue Questions internationales (janvier/février 2017), https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/turquie-kemalisme-neo-ottomanisme

[6] « Turquie : du kémalisme au néo-ottomanisme », Dorothée SCHMID, IFRI, article paru dans la revue Questions internationales (janvier/février 2017), https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/turquie-kemalisme-neo-ottomanisme

[7] La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? , Ramses 2018, IFRI, édition Dunod, « Turquie : la contagion syrienne », Dorothée Schmid, p.196

[8] La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? , Ramses 2018, IFRI, édition Dunod, « Turquie : la contagion syrienne », Dorothée Schmid, p.196-199

[9] La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? , Ramses 2018, IFRI, édition Dunod, « Turquie : la contagion syrienne », Dorothée Schmid, p.196-199

[10] La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? , Ramses 2018, IFRI, édition Dunod, « Turquie : la contagion syrienne », Dorothée Schmid, p.196-199

[11] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.55-70

[12] La guerre de l’information aura-t-elle lieu ? , Ramses 2018, IFRI, édition Dunod, « Turquie : la contagion syrienne », Dorothée Schmid, p.196-199

[13] « Guerre en Syrie : que contient l’accord d’Astana ? », Le Monde, 5 mai 2017, Madjid Zerrouky, https://www.lemonde.fr/syrie/article/2017/05/05/guerre-en-syrie-que-contient-l-accord-d-astana_5123198_1618247.html

[14] « Opération « Rameau d’olivier » : un embrasement prémédité ? », Iris, Interview de Didier Billion, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, 24 janvier 2018, https://www.iris-france.org/106412-operation-rameau-dolivier-un-embrasement-premedite/

[15]The Economist explains Why Turkey’s troops are in Syria again”, The Economist, 29 janvier 2018, https://www.economist.com/the-economist-explains/2018/01/29/why-turkeys-troops-are-in-syria-again

[16]Recep for trouble Turkey’s offensive in Syria complicates an already chaotic war”, The Economist, 25 janvier 2018, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2018/01/25/turkeys-offensive-in-syria-complicates-an-already-chaotic-war

[17]The Economist explains Why Turkey’s troops are in Syria again”, The Economist, 29 janvier 2018, https://www.economist.com/the-economist-explains/2018/01/29/why-turkeys-troops-are-in-syria-again

[18]Another American alliance broken Donald Trump gives Turkey the green light to invade northern Syria”, The Economist, 7 octobre 2019, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/10/07/donald-trump-gives-turkey-the-green-light-to-invade-northern-syria

[19] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.55-70

[20]Green light, go Turkey launches an attack on northern Syria”, The Economist, 10 octobre 2019, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/10/10/turkey-launches-an-attack-on-northern-syria

[21]Failed diplomacy America forsakes Syria’s Kurds in a ceasefire deal with Turkey”, The Economist, 18 octobre 2019, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/10/18/america-forsakes-syrias-kurds-in-a-ceasefire-deal-with-turkey

[22]Another American alliance broken Donald Trump gives Turkey the green light to invade northern Syria”, The Economist, 7 octobre 2019, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/10/07/donald-trump-gives-turkey-the-green-light-to-invade-northern-syria

[23]Another fine mess Donald Trump triggers a Turkish invasion and trashes the national interest”, The Economist, 17 octobre 2019, https://www.economist.com/briefing/2019/10/17/donald-trump-triggers-a-turkish-invasion-and-trashes-the-national-interest   

[24]Vlad the dealmaker Russia and Turkey agree to carve up northern Syria”, The Economist, 24 octobre 2019, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2019/10/24/russia-and-turkey-agree-to-carve-up-northern-syria

[25] « Stratégies turques », Stratégique n°124, Vincent Tourret, Institut de stratégie comparée (ISC), décembre 2020, p.55-70

[26] « The battle for Idlib As Turkey pounds the Syrian army, Russia wants to talk », The Economist, édition du 7 mars 2020, section Middle East & Africa, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2020/03/05/as-turkey-pounds-the-syrian-army-russia-wants-to-talk

[27] « Agnès Levallois : « Le président Erdogan s’est piégé en Syrie » », Le Temps, 28 février 2020, Marc Allgöwer, https://www.letemps.ch/monde/agnes-levallois-president-erdogan-sest-piege-syrie

[28] « The battle for Idlib As Turkey pounds the Syrian army, Russia wants to talk », The Economist, edition du 7 mars 2020, section Middle East & Africa, https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2020/03/05/as-turkey-pounds-the-syrian-army-russia-wants-to-talk