Turquie et Azerbaïdjan, « une seule nation, deux Etats » (1/4)

Sébastien Forest

La Turquie est intervenue de façon plus ou moins assumée dans le Haut-Karabakh au côté de son allié l’Azerbaïdjan opposé à l’Arménie. Cette guerre de six semaines s’est conclue par une victoire azérie qui profite tout autant à Ankara dans le développement de sa politique d’influence. Le Caucase semble être devenu le nouveau théâtre des ambitions turques, une nouvelle étape dans les politiques « néo-ottomanes » et panturques menées par Recep Tayyip Erdogan. Retour sur un conflit vieux de trente ans dont le dénouement pourrait avoir de nombreuses conséquences sur les relations internationales et les rapports de forces dans la région.

Recep Tayyip Erdogan et Ilham Aliyev au défilé militaire le 10 décembre 2020 (Photo : Mustafa Kamaci, Anadolu Agency)

Recep Tayyip Erdogan et Ilham Aliyev au défilé militaire le 10 décembre 2020 (Photo : Mustafa Kamaci, Anadolu Agency)

Le 10 décembre dernier, l’Azerbaïdjan célébrait sa victoire dans le Haut-Karabakh face à son ennemi historique l’Arménie. Pour l’occasion, une parade militaire importante a été organisée à Bakou, capitale azerbaïdjanaise, en l’honneur de son armée mais également de la Turquie, dont le Président Recep Tayyip Erdogan a été convié par son homologue Ilham Aliyev, président de la République d’Azerbaïdjan. Bien que la Turquie semble toujours nier avoir apporté une aide militaire directe à sa cousine l’Azerbaïdjan, deux escadrons des forces spéciales turques ont défilé accompagnés d’engins militaires et de drones sous les couleurs des deux pays unifiés, traduisant une forme de reconnaissance de la part de Bakou envers Ankara. Cette démonstration, s’est donc tenue un mois après l’annonce par Vladimir Poutine de la signature d’un accord de cessez-le-feu total entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mettant fin à une guerre qui avait débuté le 26 septembre dernier et entérinant ainsi la victoire azérie sur les forces arméniennes.

Un conflit gelé depuis près de trente ans

Cette guerre de six semaines est un chapitre supplémentaire dans le livre relatant le conflit arméno-azéri dans le Haut-Karabakh.

En effet, cette zone montagneuse du Caucase est disputée depuis la chute de l’URSS entre les indépendantistes, avec le soutien indéfectible de Erevan, et le pouvoir central azerbaïdjanais. Pour comprendre les enjeux de ce conflit, il faut retracer l’histoire du Haut-Karabakh et revenir deux ans avant l’érection de l’Union soviétique. En 1920, les Républiques Démocratiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan sont envahies par les troupes de l’Armée Rouge, leurs gouvernements sont renversés et sont érigées en lieu et place les Républiques Socialistes Soviétiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan. L’année suivante, Joseph Staline, alors haut-commissaire aux nationalités, offre la région du Haut Karabakh, essentiellement peuplée d’arméniens, à l’Azerbaïdjan en gage d’amitié. La Russie souhaitait alors maintenir les ressources naturelles du territoire azéri sous son autorité. Durant toute la période soviétique, cette situation n’a pas entraîné de conflits importants car les états socialistes étant dilués dans le bloc soviétique, les frontières à l’intérieur même du bloc n’avaient pas de réel intérêt. En 1988, les arméniens du Haut-Karabakh ont tout de même profité de la période des grandes réformes de l’URSS, initiée par Gorbatchev en 1985, pour tenter de s’émanciper du joug de l’Azerbaïdjan et de se rapprocher de l’Arménie contre la volonté de Moscou et de Bakou. A la chute de l’URSS, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont proclamé leur indépendance héritant ainsi du territoire qui leur avait été attribué sept décennies auparavant. Le Haut-Karabakh a lui aussi déclaré son indépendance, étant en grande majorité peuplée d’arméniens chrétiens habitants ces montagnes depuis des siècles, la province autonome ne s’est jamais reconnue dans l’Etat d’Azerbaïdjan à majorité musulmane qu’elle avait été contrainte de rejoindre. Eclate alors une guerre au cours de laquelle l’Azerbaïdjan tentera de réaffirmer son autorité sur le territoire mais fera face à la résistance des indépendantistes, appuyés militairement par Erevan. Ces derniers réussiront à repousser l’assaut azéri et prendront le contrôle du Haut-Karabakh et de la zone frontalière avec l’Arménie. Le cessez-le-feu de 1994 met ainsi fin à une guerre qui aura causé 30000 pertes humaines et des centaines de milliers de déplacés azéris. Les positions stratégiques gagnées par les indépendantistes en territoire azerbaïdjanais sont alors mises sous contrôle arménien. Les escarmouches ne cesseront de se multiplier dans les années 2000 et 2010 avec des pics de violence en 2016 et en 2020.

Ce conflit, parfois présenté comme ethnique, confessionnel ou encore civilisationnel, pourrait également être considéré comme une opposition entre des visions différentes du droit international, avec d’un côté le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, défendu par les indépendantistes soutenus par l’Arménie, et de l’autre le respect de l’intangibilité des frontières défendu par l’Azerbaïdjan.

La reprise des combats et l’interventionnisme turc

Dès le début de l’année 2020, Stéphane Visconti, ambassadeur et coprésident du groupe de Minsk, avait alerté les sénateurs français quant aux positions adoptées par les deux camps qui selon lui, n’avaient « jamais été aussi maximalistes », paralysant les négociations entre les deux pays (18). Par ailleurs, l’Azerbaïdjan entretenait une croissance économique positive depuis la fin du XXème siècle, qui lui a permis d’offrir à son armée un arsenal militaire sophistiqué venu d’Israël et de Russie, bien plus moderne et technologique que l’arsenal arménien. Cependant, le pays est touché par une crise économique principalement due à la chute du cours des hydrocarbures et qui a été exacerbée par la crise de la Covid-19. Dans ces conditions, risquant de devoir faire face à une révolte populaire, seule une victoire militaire face à l’ennemi historique permettait de fidéliser le peuple autour de son dirigeant et de détourner les esprits des difficultés socio-économiques du pays. Enfin et évidement, comme le montre les multiples accrochages à la « frontière », l’idée de reconquérir les terres perdues n’a jamais cessé d’hanter les pensées d’Heydar Aliyev et de son fils Ilham aujourd’hui au pouvoir. Pour toutes ces raisons, l’Azerbaïdjan a décidé de mener l’assaut le 27 septembre 2020. Six semaines plus tard, les forces indépendantistes et arméniennes, dépassées par la qualité de l’armement azéri et par le soutien qu’a reçu Bakou, ont perdu une importante partie du territoire qu’elles occupaient.

Dépenses militaires de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie en milliard de dollars de 2008 à 2019

Dépenses militaires de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie en milliard de dollars de 2008 à 2019

Tout comme en Syrie ou en Libye, la Turquie s’est servie de ce conflit pour avancer ses pions dans le Caucase. Bakou a pu compter sur le soutien du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui dès le début des affrontements le 28 septembre avait annoncé qu’il soutiendrait les forces azéries « par tous les moyens ». Ce soutien s’est matérialisé par l’envoi d’armes et d’experts militaires sur le terrain mais également par l’envoi de miliciens rebelles syriens, une stratégie déjà adoptée lors des interventions en Libye et en Syrie, et en partie inspirée par l’utilisation du Groupe Wagner par le pouvoir central russe sur ces mêmes théâtres d’opérations. Plus de 1500 mercenaires syriens ont ainsi été envoyés suppléer les troupes de Bakou et ont joué un rôle non négligeable dans la victoire azérie. En utilisant ces milices en lieu et place de son armée régulière, Ankara limite ses pertes humaines mais peut également nier avoir agi directement sur le terrain en faveur de son allié. Ces miliciens proviennent pour l’essentiel de l’Armée Nationale Syrienne, un rassemblement de groupes rebelles équipés, entrainés et soutenus par la Turquie. Ils sont principalement motivés par les avantages financiers proposés par les services secrets turcs mais également parfois par des promesses de naturalisation. Bien que ce procédé ait déjà été utilisé par la Turquie, ce qui frappe dans le Haut-Karabakh, c’est la rapidité de déploiement des mercenaires sur la zone des combats par rapport à ce que l’on a pu voir en Libye par exemple. Il est évident que la distance séparant la Syrie de la Libye est bien plus importante que celle séparant la Syrie et l’Azerbaïdjan, mais dans le cas libyen il aura fallu plusieurs mois à Ankara pour acheminer 7000 mercenaires contre seulement quelques jours pour les 1500 mercenaires du Haut-Karabakh (4). Cette accélération dans le déploiement de troupes non régulières sur un territoire étranger montre bien que la Turquie tend à développer ce type d’intervention militaire et que les milices sont aujourd’hui largement intégrées aux forces armées turques.

Turquie et Azerbaïdjan, des Etats frères

La relation entre la Turquie et l’Azerbaïdjan repose sur des fondements multidimensionnels aussi bien confessionnels, ethniques et linguistiques, qu’économiques.

Confessionnels tout d’abord du fait que ces pays partagent une religion commune, l’islam, contre la majorité chrétienne arménienne et l’histoire nous montre que l’aspect confessionnel est souvent au cœur des conflits dans la région du Moyen-Orient, voisine du Caucase. Cependant, ce rapprochement reste assez ambivalent car les populations azéries sont à majorité chiite, du fait de leur passé perse, contre sunnite en Turquie. Bien qu’important, il n’est finalement pas le point majeur des relations turco-azéries.

Ce sont en effet davantage des bases ethniques et linguistiques qui rapprochent les deux pays car les azéris sont un peuple turcophone, descendant d’ancêtres communs aux turcs qui ont migré depuis l’Asie Centrale vers l’Anatolie et le Caucase au cours du Xème siècle. La Turquie sera le premier pays à reconnaître officiellement la République d’Azerbaïdjan en 1991, elle la soutiendra diplomatiquement dans son premier conflit face à l’Arménie dans le Haut-Karabakh et elle entamera dès 1992 une politique, permise par la disparition du bloc soviétique, visant à développer les liens culturelles et économiques avec l’ensemble du monde turcophone dans le but de restaurer son influence et de s’ériger en tant que « grand frère » des Etats turcophones. Cette politique ne va donc pas se limiter au Caucase, mais à toute l’Asie Centrale.

La relation Ankara-Bakou, repose enfin et principalement sur les enjeux économiques et énergétiques qui lient les deux pays. En effet, les terres Azerbaïdjanaises de la côte Caspienne regorgent d’hydrocarbures, des richesses que ne détient pas la Turquie. En revanche, l’Anatolie est un passage obligatoire pour permettre l’acheminement du pétrole et du gaz de l’Azerbaïdjan vers le marché européen sans passer par la Russie. Un partenariat économique fort s’est donc créé autour des deux pays faisant rapidement de la Turquie l’un des premiers partenaires commerciaux de l’Azerbaïdjan, et de ce dernier l’un des principaux exportateurs de gaz en direction du premier. Cette alliance économique et stratégique sur les ressources énergétiques se matérialise par des infrastructures d’acheminement tels que le gazoduc TANAP (Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline) et l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) reliant les deux pays et acheminant les hydrocarbures dans le reste de l’Europe et du Caucase. En laissant la Turquie tirer profit de ses richesses, l’Azerbaïdjan a pu s’assurer d’un soutien sans faille de la part d’Ankara dans sa lutte politique contre Erevan concernant le Haut-Karabakh tout au long des années 2000, puis militaire en cette année 2020. Les liens historiques entre Bakou et Ankara et la convergence de leurs intérêts sont si forts que leurs dirigeants n’hésitent pas à parler « d’une seule nation, deux états » comme l’a rappelé le président turc lors de sa visite dans la capitale azerbaïdjanaise de décembre dernier.

Oléoduc BTC et Gazoduc TANAP (TBY)

Oléoduc BTC et Gazoduc TANAP (TBY)

Turquie et Arménie, le dialogue impossible

En opposition à ces relations quasi-parfaites qu’entretiennent Ankara et Bakou, les relations entre la Turquie et l’Arménie sont, au contraire, inexistantes. Evidemment, l’impossible dialogue s’explique principalement par le génocide de 1915 perpétré à l’encontre des populations arméniennes de l’empire par les autorités ottomanes. Un génocide qui continue aujourd’hui d’être nié par le gouvernement turc. Alors même que la Turquie a été l’un des premiers pays de la communauté internationale à reconnaître officiellement la République d’Arménie, peu après celle d’Azerbaïdjan, les relations diplomatiques entre les deux nations sont restées quasi-inexistantes du fait qu’Ankara a conditionné la naissance d’un éventuel dialogue arméno-turc au renoncement par Erevan de toute campagne internationale pour la reconnaissance du génocide arménien.

A ce premier différend est venu rapidement se greffer la question du Haut-Karabakh. La Turquie a en effet été le soutien diplomatique majeur de l’Azerbaïdjan dans la première phase du conflit et le pays a décidé en 1993 de fermer définitivement sa frontière avec l’Arménie. Pour illustrer ô combien la situation reste plus que tendue entre les deux nations, plus de 5000 militaires et gardes russes patrouillent tout le long de la frontière arméno-turque, côté arménien, pour s’assurer du respect de la ligne de démarcation entre les deux pays et pour protéger l’espace aérien arménien (12). Ce n’est qu’en 2008 qu’Ankara et Erevan vont initier leurs premiers pas l’un vers l’autre poussés par la « diplomatie du football ». Les présidents Abdullah Gül et Serge Sarkissian vont alors assister ensemble aux rencontres opposant les sélections nationales turque et arménienne à la fois en Turquie et en Arménie. L’année suivante, les protocoles de Zurich, soutenus par la Russie et les Etats-Unis, sont signés par les gouvernements des pays respectifs et visent à normaliser les relations entre les deux nations, inexistantes depuis la reconnaissance de l’Etat arménien par la Turquie en 1991. Cependant, sous la pression des ailes nationalistes des deux pays, les protocoles ne seront jamais ratifiés par leur parlement et la Turquie, représentée par son premier ministre de l’époque Recep Tayyip Erdogan, conditionnera la réouverture de sa frontière à la proposition par l’Arménie d’une solution dans le Haut-Karabakh qui conviendrait à son allié l’Azerbaïdjan. Or, cette solution ne sera jamais trouvée et au contraire la situation dans cette région disputée s’envenimera au cours des années 2010 mettant définitivement de côté les protocoles de Zurich dans les deux pays et ouvrant une nouvelle page dans les relations arméno-turques qui restera vierge.

Enfin, c’est tout simplement la situation géographique de l’Arménie qui reste un contentieux sous-jacent car elle freine la Turquie dans ses politiques d’influence vers le monde turcophone. En effet, l’Arménie prive la Turquie d’une véritable frontière terrestre directe avec son allié l’Azerbaïdjan ne lui laissant qu’une pauvre zone frontalière de 9 kilomètres à l’extrême Est du pays avec la région autonome azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, elle-même séparée du reste du pays, de la capitale Bakou et donc également de la mer Caspienne, lieu où se concentre l’essentiel des ressources naturelles du pays. Dans le cadre du partenariat économique très fort entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, et du fait de la situation plus que tendue qu’entretiennent Ankara et Bakou avec Erevan, ils se voient obligées de contourner l’Arménie pour relier leurs deux pays par des infrastructures de transports ou d’acheminement des ressources naturelles, en passant par la Géorgie notamment, ralentissant de fait leur intégration commerciale.

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Dans une perspective plus large encore, l’Arménie prive la Turquie d’un corridor turcophone partant des terres turques européennes à l’extrême Ouest du pays, passant par l’Azerbaïdjan et les pays du Conseil Turcique d’Asie Centrale, et allant jusqu’à la région autonome du Xinjiang en Chine. Or ce couloir serait une condition préalable pour mener à bien une politique panturque tant rêvée par les penseurs Jeunes-Turcs à la fin du XIXème siècle et reprise il semblerait aujourd’hui par Erdogan.

L’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, une victoire pour l’Azerbaïdjan mais également pour la Turquie

Finalement, plus qu’un accord bilatéral de cessez-le-feu, c’est une véritable capitulation qui a été signée par Nikol Pashinyan, premier ministre d’Arménie, une humiliation pour bon nombre d’Arméniens qui se sont rassemblés à la suite de la défaite pour appeler à la démission du chef du gouvernement.

Cet accord permet ainsi à l’Azerbaïdjan de conserver les territoires reconquis au cours des six semaines de combats. Ces terres, dans le respect d’un calendrier consigné dans le traité, devront être peu à peu remises sous l’autorité de Bakou et évacuées par les arméniens. Par ailleurs, Erevan garantit une libre circulation des hommes, des véhicules et des marchandises entre l’Azerbaïdjan et sa région autonome du Nakhitchevan via le corridor reliant les deux territoires et longeant la frontière sud de l’Arménie. En remportant ce succès militaire historique, la légitimité de Ilham Aliyev est largement renforcée dans son pays, gagnant un pari risqué qui lui permettra sans doute de se maintenir au pouvoir en Azerbaïdjan malgré les difficultés socio-économiques que connaît son pays.

Cependant, cette victoire n’est pas seulement celle de l’Azerbaïdjan mais aussi celle de la Turquie. En intervenant militairement, de façon plus ou moins dissimulée, et diplomatiquement la Turquie a été partie prenante de cette guerre dans le camp des vainqueurs. L’utilisation sur le terrain du matériel militaire technologique turc par les forces azerbaïdjanaises a permis de démontrer en condition réelle l’efficacité de l’industrie d’armement turc, notamment de ses drones, pouvant lui permettre à l’avenir de décrocher des contrats avec des pays d’Europe de l’Est ou du Moyen-Orient qui auraient plutôt souscris à l’armement européen ou russe si cette guerre n’avait pas eu lieu. Par ailleurs, la Turquie a pu récupérer une place de choix à la table des discussions concernant la stabilité dans le Caucase en infligeant un revers diplomatique à la France et aux Etats-Unis, qui sont membres du groupe de Minsk aux côtés de la Russie mais qui n’ont joué qu’un rôle marginal dans la résolution de l’acte deux du conflit arméno-azerbaïdjanais. La Turquie a, en quelque sorte, obtenu de la part de Moscou une reconnaissance particulière en tant qu’acteur régional incontournable, une place de puissance forte au niveau des occidentaux dans la région, un accès à la mer Caspienne et potentiellement une base arrière en territoire azéri. Il ne faut pas en revanche se méprendre, cet accord est une alliance de circonstance. La Turquie reste pour Moscou une menace et un adversaire qui ne cesse de lui tenir tête sur ses théâtres d’opérations, qui entend accroître son influence sur les anciennes terres ottomanes et sur les régions turcophones d’Asie qui sont d’anciens territoires soviétiques. Enfin, la Turquie a obtenu de cet accord de cessez-le-feu l’équivalent d’une frontière directe avec l’Azerbaïdjan, lui laissant à présent une marge de manœuvre plus grande pour mener à bien ses politiques d’influence vers les pays du Conseil Turcique.

Le Caucase semble ainsi être devenu le nouveau « chantier néo-ottoman » de la Turquie. Depuis quelques années maintenant, les politiques extérieures expansionnistes, les interventions militaires officielles ou dissimulées et les incidents diplomatiques ne cessent de se multiplier. Après les interventions militaires qui ont eu lieu en Syrie, où Ankara a soutenu les rebelles face au soutien russe en faveur du régime de Bashar al-Assad, et en Libye où Erdogan a soutenu le premier ministre al-Sarraj une nouvelle fois face à la Russie qui soutenait Haftar, le Caucase est à son tour le théâtre des ambitions turques. Encore une fois, la Turquie profite de l’attentisme européen et américain, qui ne sont pas intervenus militairement mais humanitairement et diplomatiquement, pour agir et satisfaire ses politiques expansionnistes.

Le peuple arménien redoute aujourd’hui que les ambitions turques ne soient plus grandes qu’elles n’y paraissent et le passage du Caucase sous influence turque serait un coup de massue pour les arméniens. Pour autant, et bien que la Russie n’ait pas pris parti dans ce conflit, il apparait peu probable qu’elle laisse une de ses zones d’influence aux mains de la Turquie qui ne cesse de défier militairement et diplomatiquement son autorité.

Sources :

(1) Aubry Amélie, Une leçon de géopolitique du Dessous des cartes : Erdogan au cœur du conflit entre Arméniens et Azéris ?, Arte, 7 octobre 2020

(2) Brigaudeau Anne, Caucase : l’article à lire pour mieux comprendre le conflit dans le Haut-Karabakh, Franceinfo, 17 octobre 2020

(3) Duclos Michel, Haut-Karabakh, premières leçons d’une paix russo-turque, Institut Montaigne, 12 novembre 2020

(4) Filiu Jean-Pierre, Les filières turques de mercenaires syriens en Azerbaïdjan, Un si Proche Orient, Le Monde, 18 octobre 2020

(5) Four Jean-Marc, Ballanger Franck, L’Azerbaïdjan et la guerre dans le Haut-Karabakh, France Culture, 18 octobre 2020

(6) Frachon Alain, « Puissance régionale à l’ambition gargantuesque, la Turquie d’Erdogan se moque du Kremlin et de la Maison Blanche », Le Monde, 8 octobre 2020

(7) Hayek Caroline, Les raisons du nouvel embrasement dans le Haut-Karabakh, L’Orient – Le jour, 28 septembre 2020

(8) Kamenka Vadim, Ce que dit l’accord entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, L’Humanité, 10 novembre 2020

(9) Lacan Frédéric, Comprendre le conflit sans fin entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, Le Parisien, 29 septembre 2020

(10) Magnard Camille, Un cessez-le-feu cuisant pour l’Arménie au Haut-Karabakh, France Culture, 10 novembre 2020

(11) Maume Aline, Vire Emmanuel, Haut-Karabakh : deux siècles d’une situation bloquée, GEO, 14 janvier 2019

(12) Raverdy Quentin, Entre la Turquie et l’Arménie, il était un froid dans l’Est, Libération, 23 avril 2018

(13) Agence Anadolu, Erdogan : « Aliyev a déjoué les plans de Macron par sa posture », 11 décembre 2020

(14) Le Monde, Haut-Karabakh : Vladimir Poutine confirme un accord de « cessez-le-feu total » entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, 10 novembre 2020

(15) Le Point International, L’Arménie a perdu plus de 2300 soldats au Haut-Karabakh, 14 novembre 2020

(16) Le Point International, Erdogan veut que « la lutte » de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie continue, 10 décembre 2020

(17) Observatoire Pharos, Le facteur identitaire dans la position turque sur le conflit du Haut-Karabakh, 8 octobre 2020

(18) Comptes rendus de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Audition de M. Stéphane Visconti, Sénat, 8 janvier 2020